Il est commun de dire que cette révélation laisse sans voix. Parfois elle ne laisse pas sans voix, elle inspire de la révolte, de la colère, de l’incompréhension et le plus souvent un immense désarroi. Les plus « solides » y voient une sorte de fatalité, les plus « narcissique » y voient une injustice à leur égard, les plus « dissocier » y voient une ignorance, les plus « épicuriens » y voient une impuissance, les plus « débrider » y voient une plaisanterie, les plus « optimistes » y voient une épreuve à traverser, le plus « pessimistes » y voient une infirmité….
Je pourrais continuer, ainsi, durant des dizaines de pages tant les cancers sont différents, tant les personnes sont singulières. Il y a autant de cancer qu’il n’y a de personne.
Ce qui rassemble toutes ces personnes et tous ces cancers, c’est la phase d’annonce du diagnostic faite par l’oncologue. Celui-ci, suite à des conversations avec ces autres collègues et résultats de divers ; scanner, scintigraphie, TEP, et autres méthodes d’investigations radiologiques pointues, détermine et sous-pèse la gravité ou l’étendu de la ou des tumeurs.
Le diagnostic posé, le patient, puisqu’à partir de ce moment-là nous passons un cap, celui de personne saine à celui de malade, la mécanique médicale se met en branle.
L’annonce de diagnostic, fait de nous des personnes atteintes d’un cancer, cela ne fait pas de nous des personnes handicapées, ni des sous personnes contagieuses, ni des cobayes en expérimentations, et surtout pas des femmes et des hommes en dehors de la société. Nous sommes vivants et nous espérons que le grand soir, soit le plus tard possible.
L’annonce de diagnostic n’est pas un faire-part de décès prématuré, car cette annonce modifie, non seulement la perception que l’on a de nous-même, mais également la perception que les autres ont de nous-même, ainsi que la perception du monde qui nous entoure.
La médecine oncologique a évolué au-delà de toute espérance, d’un point de vue techniques, diagnostics, traitements et prise en charge. La mécanique de prise en charge est bien huilée, le suivi pathologique, lié au cancer proprement dit, réponds à cette évolution. Je ne me permettrais pas de le remettre en cause.
La mécanique fonctionne, mais qu’en est-il de la carrosserie, du carburant, des batteries, des sièges, du confort, de la tenue de route, des pneus, des freins, des divers liquides nécessaires etc… etc…
Le corps comme un véhicule qui doit, coûte-que-coûte continué d’avancer.
L’annonce de diagnostic regarde l’aspect mécanique et passe, quelque peu, à la trappe le reste.
C’est ce « reste » qui provoque, chez beaucoup d’entre nous, cet état de sidération, d’abattement voir de mélancolie profonde, car l’alternative est souvent « radicale », vivre ou mourir !
Cette alternative, si difficile à appréhender doit pourtant prendre en compte que la médecine fait d’énorme progrès. Il est juste de constater que, pris à temps le cancer recule et que nombre de personne vivent « avec » dans leur intimité la plus profonde et, surtout, nombreux ceux qui s’en sortent. Je n’en oublie pas, pour autant, certaines sœurs ou frères d’annonce, pris dans le cercle « malin » du cancer, qui ne trouve qu’une issue inéluctable à leurs tourments.
Vivre « avec » signifie aussi, manger avec, dormir avec, danser avec, pleurer avec, nager avec, rigoler avec, aimer avec etc… etc… Toutes ces choses qui sont la carrosserie de ce que nous sommes.
Vivre « avec » c’est rentrer en résistance face à un ennemi que l’on apprend à connaître et qui deviens avec le temps un compagnon de route, bon gré, mal gré. Apprenant à vivre avec, petit à petit, pas à pas, rencontre après rencontre.
Alors ! Me direz-vous, la médecine prend en charge la douleur ! Les diététiciens prennent en charge l’alimentation et l’équilibre alimentaire ! Les esthéticiennes prennent en charge les soins du corps ! Les Kinésithérapeutes prennent en charge les corps ! Les psychologues prennent en charge la santé psychique ! Les psychanalystes prennent en charges les soins de l’esprit ! Tous sont là pour la qualité de vie du patient, non !
Indubitablement, toutes ces professions et d’autres « aident » à « vivre avec », mais, car il y a un mais, rien ne remplace la parole d’échange entre personne atteinte de cette maladie. L’échange de pratique, l’échange d’émotion, l’échange d’astuce, l’échange de comportement, l’échange sur cette vie différente que l’on vit et qui nous rassemble et qui fait que nous avançons en sachant qu’une sœur ou qu’un frère comprends et entends qui nous sommes.
Certes, l’annonce de diagnostic doit être faite par l’oncologue référant, mais la parole d’un patient « atteint » doit être impérativement liée à celle du médecin. Cela demande, certainement, une formation spécifique, pour faire de ce moment, non pas un moment de doutes et d’incertitudes, mais un moment d’espoir et d’avenir.
Dominique CHALLOU. Décembre 2020.